L'histoire du Message de 1888. 

1886

Jones et Waggoner enseignent à Healdsburg College en Californie. Ils publient une série de leçons dans la revue Signs of the Times sur les deux lois (morale et cérémonielle) de l'Épître aux Galates, en réponse à un article de O. A. Johnson dans le numéro du 13 avril de la Review and Herald. Ils affirment que la loi dans Galates n'est pas que la loi cérémonielle, mais aussi la loi morale des dix commandements. G. I. Butler (président de la Conférence générale) et Uriah Smith (éditeur de la Review) sont bouleversés par les études de Waggoner, croyant qu'elles constituent la répétition d'une erreur déjà rencontrée. (Lettre de Butler à Ellen G. White, 23 août 1886). Ellen G. White est alors en Europe pour un séjour de deux ans, elle ne peut contrôler cette dérive et calmer les passions. Les membres désorientés voyaient les protagonistes des deux thèses s'affronter par revues interposées. Butler envoie une lettre à Ellen G. White pour lui soumettre le problème. Après un long silence, elle répond. Elle ne dit rien concernant les questions théologiques qui sont discutées. Elle écrit cependant à Waggoner, l'enjoignant de ne rien présenter dans les revues qui n'ait d'abord été apporté aux frères. Butler prend la lettre de Ellen G. White comme une approbation de sa position. Il prépare une brochure, La loi dans l'Épître aux Galates, en vue de la prochaine Conférence générale et tente même de le faire approuver par vote, en tant que position officielle de l'Église. 

1887

Mme White écrit à Butler et lui mentionne qu'il n'a pas agi correctement dans cette affaire. Ayant déjà publié ses vues, il doit permettre à Waggoner de présenter aussi les siennes. Butler et Smith sont ahuris. (Lettre de Ellen G. White à Butler, 5 avril 1887). Waggoner écrit une lettre qui deviendra plus tard une brochure, L'Évangile dans l'Épître aux Galates, qui est distribué dans le cadre de l'Église. Ayant fait des réprimandes au président de la Conférence générale, Ellen G. White est perçue par Butler comme reniant sur ce point l'adventisme traditionnel qui, selon lui, avait toujours enseigné que « la loi pédagogue qui conduit au Christ est la loi cérémonielle de Moïse » (Gal. 3:24). Le non-alignement d'Ellen G. White sur leur position conduit Butler et Smith à mettre en cause à long terme la crédibilité de ses Témoignages pour l'Église (elle se reniait, selon eux) et, surtout, à court terme, la validité du sabbat, pilier du message adventiste. En effet -- et c'était là l'enjeu du débat --, si la loi dans Galates 3:24 (celle qui joue le rôle de pédagogue pour nous conduire au Christ) était la loi morale selon les dires de Jones et Waggoner, les dix commandements seraient devenus caduques (lesabbat compris), puisque nous ne serions plus « sous ce pédagogue », étant « fils de Dieu par la foi en Jésus-Christ ». Pour Waggoner, par contre -- et cela est juste --, les dix commandements, paroles de l'alliance de Dieu, étaient le pédagogue qui conduit au Christ pour avoir « une foi qui oeuvre au travers de son amour ». Pour le tandem Butler-Smith, cette nouvelle position contre laquelle Ellen G. White ne s'élevait pas, était une menace protestante au coeur même de la théologie adventiste. C'était le cheval de Troie qui pénétrait dans la cité de Sion pour attaquer de l'intérieur la continuité sacrée du sabbat, ancrée dans la loi morale. La théologie de Jones et Waggoner était donc perçue comme un retour au protestantisme et comme dangereuse pour la raison d'être de l'Église.

 
1888

Une lettre est envoyée par un frère de la côte ouest au bureau de la Conférence générale prétendant que Waggoner et Jones se rendront à la Conférence de Minneapolis pour y présenter leur nouveau point de vue. On insinue même qu'Ellen G. White et son fils Willie ont été persuadés d'accepter la position des deux hommes. Aussitôt, le 1er octobre 1888, le président de la Conférence générale écrit, furieux, une lettre de trente-neuf pages à Ellen G. White, l'accusant de trahison, ainsi que son fils Willie, car jamais ces deux jeunes hommes qu'étaient Jones (38 ans) et Waggoner (33 ans) n'auraient eu l'audace de braver l'Église et son organisation s'ils n'avaient eu leur soutien. Il exigeait de sa part un blâme public sur Jones et Waggoner et l'arrêt de la publication de leurs écrits dans Signs of the times. Pour lui, le « temps du criblage était arrivé », l'Église était en danger, il fallait « resserrer les boulons ». Certains des frères de Battle Creek sont très agités. Butler tombe malade, il est incapable d'assister aux réunions de Minneapolis, mais il envoie une directive à tous les délégués de soutenir fermement les anciens piliers et de ne pas déplacer aucune vieille borne. À la Conférence générale qui eut lieu en octobre et novembre, Waggoner et Jones présentent des leçons qui traitent de la justification par la foi. « Dieu a donné à ses serviteurs [Waggoner et Jones] un témoignage qui présentait la vérité telle qu'elle est en Jésus, c'est-àdire le message du troisième ange en traits clairs et distincts ». (Testimonies to Minister, p. 93, Ellen G. White, Lettre 57, 1895) Sur les recommandations expresses d'Ellen G. White, qui mit en garde les délégués contre des décisions émotives et expéditives, vu leur état d'excitation et l'ignorance même des points débattus, aucun vote ne fut pris pour accepter ou rejeter le point de vue de Jones et Waggoner à Minneapolis. (MS 15, Ellen G. White, 1888) « Si nos frères dans le ministère acceptaient la doctrine présentée si clairement, la justice du Christ en relation avec la loi -- et je sais qu'ils ont besoin de l'accepter --, leurs préjugés n'exerceraient pas sur eux de pouvoir inhibiteur, et le peuple de Dieu serait nourri de sa portion de nourriture au temps convenable ». (MS 15, Ellen G. White, 1er novembre 1888) Ellen G. White écrira à plusieurs reprises que « le Saint-Esprit fut insulté » à Minneapolis et « la lumière rejetée » par la résistance des délégués. (Lettre S24, Ellen G. White, 1892; Testimonies to Minister, p. 393, 1896) 

1889

Après une réponse positive à la présentation des deux hommes à Minneapolis, Ellen G. White commence à parcourir le pays pour proclamer l'Évangile, en compagnie de Jones, Waggoner ainsi que J. H. Kellogg. (Messages choisis, volume 1, p. 421-427, Ellen G. White). Waggoner et Jones enseignent par la suite au Collège de Battle Creek. Waggoner est approché par Jones pour réécrire quelques leçons de l'Épître aux Hébreux que son père (J. H. Waggoner) avait produites. Certaines de ces leçons avaient été perdues et devaient être refaites en prévision de l'École du sabbat du premier trimestre de 1890. Waggoner accepte, mais il est clair qu'il ne partage pas la même position que son père sur la question des deux alliances. Il reçoit la permission de réécrire environ dix leçons. (Lettre de C. H. Jones à U. Smith, 18 février 1889). Les leçons révisées sont distribuées au Comité des publications de la Conférence générale avec une lettre d'introduction expliquant les changements effectués. Uriah Smith commet l'erreur de ne regarder que l'identité de l'auteur (J. H. Waggoner) et les envoie pour publication sans lire la lettre accompagnatrice. 

1890

Les leçons révisées de l'École du sabbat sont imprimées. Uriah Smith est surpris et croit que Waggoner l'a trompé en présentant son propre point de vue. Smith fait donc part de son désaveu dans le numéro du 28 janvier de la Review and Herald. Ellen G. White réagit rapidement en écrivant à Uriah Smith. Elle déclare qu'il était mal venu de s'exprimer ainsi, qu'il mine sérieusement son oeuvre, et qu'il témoigne d'une très mauvaise attitude envers le frère Waggoner. Plus encore, elle affirme clairement qu'il lui a été montré que Waggoner était correct sur le sujet des alliances. Smith perd son temps à tenter de prouver que Waggoner est dans l'erreur, projet dans lequel il a été impliqué déjà depuis 1887. (Lettre 59 à U. Smith, 1890) L'Église a maintenant été exposée aux leçons de Waggoner sur les alliances. Les étudiants du Collège de Battle Creek se sont vus refusés la possibilité de les étudier en classe. Bref, beaucoup de gens de l'Église sont au courant de l'affaire et sont intéressés à connaître la vérité. Une réunion est convoquée à Battle Creek, impliquant tous ceux qui sont mêlés à la controverse. Finalement, on révèle l'existence de la lettre provenant de Californie et les deux parties s'entendent pour dire qu'elle en a conduit plusieurs à faire montre de préjugés à Minneapolis, non seulement envers Waggoner et Jones, mais aussi envers mme White. Waggoner et White affirment tous deux qu'ils ne sont pas intéressés à discuter théologie à moins d'un changement marqué dans l'esprit avec lequel on aborde le sujet. L'opposition l'interprète comme signifiant qu'Ellen G. White n'endosse pas nécessairement les idées de Waggoner, mais qu'elle leur reproche de n'avoir tout simplement pas été aussi courtois qu'ils auraient dû l'être. (Lettre de Dan Jones à R. A. Underwood, 14 mars; Lettre de Dan Jones à M. Kilgore, 16 mars)
 

 
1891

Waggoner est envoyé en Europe pour aider l'oeuvre.

1892

Ellen G. White est envoyée en Australie. Ceci n'était pas en accord avec la lumière reçue de Dieu. Elle aurait dû demeurer à Battle Creek pour collaborer à l'oeuvre des publications. « Le président de la Conférence générale a agi comme Aaron au mont Sinaï ». (Lettre O-127, 1896, Ellen G. White) 

1896

« Le refus d'abandonner des idées préconçues et d'accepter la vérité, explique en grande partie l'opposition qu'a rencontrée à Minneapolis le message du Seigneur présenté par les frères Waggoner et Jones. En suscitant cette opposition, Satan a réussi dans une grande mesure à priver notre peuple de la puissance extraordinaire du Saint-Esprit que Dieu désirait ardemment lui communiquer. L'ennemi l'a empêché d'obtenir cette efficacité qui aurait pu caractériser leur proclamation de la vérité au monde, comme ce fut le cas pour les apôtres après la Pentecôte. On a résisté à la lumière qui doit éclairer le monde entier de sa gloire, et l'action de nos propres frères a grandement contribué à priver le monde de cette lumière ». (Lettre 96, 1896; Messages choisis, volume 1, p. 276, Ellen G. White) 

1907

Les leçons du troisième trimestre de l'École du sabbat portent sur le sujet des alliances. A. T. Jones est bouleversé de constater qu'elles reflètent un point de vue opposé à celui donné en 1888-1893 et approuvé par Ellen G. White. Il indique que l'opposition au message original semble avoir refait surface après une période de silence. La question subsiste : « L'Église a-t-elle réellement acceptée la lumière que Dieu lui a envoyée » ? (God's Everlasting Covenant, A. T. Jones, 1907) « Si le dessein de Dieu de donner au monde le message de miséricorde avait été exécuté, Christ serait venu et les saints auraient été accueillis dans la cité de Dieu ». (Review and Herald, Ellen G. White, 24 décembre 1903) 

Le contenu du Message de 1888. 

Waggoner présenta onze exposés (dont nous n'avons pas le texte intégral) sur l'Évangile dans l'épître aux Galates. Ellen G. White y vit la beauté de la vérité dans la présentation de la justice du Christ en relation avec la loi. (MS 15, Ellen G. White, 1er novembre 1888) L'originalité du message de Waggoner consistait en fait à établir un pont entre la loi et l'Évangile. Jusque-là, les prédicateurs adventistes insistaient tellement sur la loi -- et surtout sur le sabbat -- que l'Église s'était fossilisée dans le légalisme. Le message de Waggoner mettait donc la loi à sa juste place, en insistant sur la justification par la foi dans les promesses de l'alliance, seule capable de donner aux croyants l'obéissance de la foi de (et en) Jésus. Son message consistait « à voir dans les dix commandements, non pas l'aspect prohibitif, mais plutôt l'aspect miséricordieux » (Messages choisis, vol. 1, p. 276). Waggoner vit dans la loi morale, paroles de l'alliance de Dieu, dix promesses par lesquelles Dieu s'engageait, par la foi en son amour, à réaliser en l'homme pécheur, ce qu'il ne savait, ne pouvait, ni ne voulait plus faire: aimer, c'est-à-dire obéir aux commandements. Nos deux pionniers, insistèrent sur l'expression de cet amour de Dieu en son fils JésusChrist qui accomplit parfaitement toute la loi dans une nature humaine pécheresse identique à la nôtre. Son sacrifice à la croix mit le comble à cette révélation d'amour. Notre foi en l'accomplissement de son oeuvre parfaite en nous, par son ministère de médiateur dans le sanctuaire céleste, nous maintient dans la sainteté de sa seule justice. En d'autres mots, en conséquence de cette relation d'amour et de confiance dans le Christ, offrande suprême et grand prêtre, le croyant reçoit de l'Esprit le pouvoir de garder les commandements de Dieu et de vivre la foi de Jésus, celle qui vainquit le mal dans la nature, semblable à celle du péché, dans laquelle le Christ fut envoyé pour détruire la mort et l'asservissement au péché. En outre, la contribution de Jones et Waggoner à la théologie adventiste fut de donner au message de la justification par la foi une dimension eschatologique en le plaçant dans le contexte du message du troisième ange d'Apocalypse 14:12. Un message en trois points: « c'est ici, 1. la persévérance des saints, 2. qui gardent les commandements de Dieu, 3. et la foi de Jésus », dont la « foi de Jésus » est un élément essentiel. 

Notre errance dans le désert. 

On peut se rappeler l'histoire de l'ancien Israël qui manqua de foi aux abords de la Terre promise et retourna errer pendant quarante ans dans le désert. En ce temps, Moïse envoya douze chefs pour explorer le pays de Canaan et voir si c'était un bon pays à habiter ou s'il était difficile. Dix des explorateurs le jugèrent difficile et deux le trouvèrent facile (Nombres 13). Il est possible d'interpréter cet épisode de l'histoire d'Israël comme un type de notre histoire de 1888 et sa suite. Le Seigneur envoya aux chefs de l'Église le message d'explorer le pays et d'entrer dans la Canaan céleste afin d'achever la mission évangélique. À la session de la Conférence générale de 1888, deux hommes seulement firent un rapport, disant que c'est facile plutôt que difficile, pourvu que nous croyions à la Parole du Seigneur. Lorsqu'à Kadesh-Barnéa, les chefs du peuple d'Israël rejetèrent l'appel de Caleb et de Josué, le Seigneur dit à Moïse: « Jusqu'à quand ce peuple me méprisera-t-il » ? (Nombres 14:11), Israël eut constamment tendance à se moquer de Ses messagers, mépriser Ses paroles et railler de Ses prophètes, jusqu'au jour où son hostilité atteignit son comble en crucifiant le Fils de Dieu. Cette même hostilité se manifeste dans l'histoire de notre propre dénomination. Jusqu'à aujourd'hui, il y a une curieuse réticence à reconnaître les faits de notre histoire. La situation est semblable à celle des Juifs qui considèrent Jésus de Nazareth comme un rabbin intelligent et vertueux, mais méconnaissent ou nient qu'il était le Fils de Dieu, le vrai Messie. Ils soutiennent que leurs ancêtres ne l'ont ni rejeté ni crucifié, et ils en rejettent le blâme sur les Romains. 


« L'Église peut paraître sur le point de tomber, mais elle ne tombera pas. Elle demeure, tandis que les pécheurs en Sion seront passés au crible -- la paille séparée du précieux grain » (Select Messages, vol. 2, p. 380, Ellen G. White). En ce jour-là, je m'efforcerai de détruire toutes les nations qui viendront contre Jérusalem. Alors, je répandrai sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem un esprit de grâce et de supplication, et ils tourneront les regards vers moi, celui qu'ils ont percé. Ils pleureront sur lui comme on pleure sur un fils unique, ils pleureront amèrement sur lui comme on pleure sur un premier-né... En ce jour-là, une source sera ouverte pour la maison de David et les habitants de Jérusalem, pour le péché et pour l'impureté. En ce jour-là, dit l'Éternel des armées, J'exterminerai du pays les noms des idoles, afin qu'on ne s'en souvienne plus; J'ôterai aussi du pays les prophètes et l'esprit d'impureté. (Zacharie 12:9-10; 13:1-2)